George Clooney, au-delà de l’art brut et de l’art naïf.

Aujourd’hui j’ai lu les 2 tomes de Georges Clooney. Bien évidemment, cela n’a rien à voir avec l’acteur. Voici la prose des éditions Delcourt pour présenter l’œuvre de Philippe VALETTE :
Georges Clooney est un super-héros peu commun, sans rapport aucun avec l'acteur américain. Son super-pouvoir ? Exploser des cheeseburgers, éclater la gueule d'une serveuse de Domac, double-niquer une tortue ninja... Au menu : une histoire de crotte, un déferlement de gags, de violence et de fautes d'orthographe qui ne peuvent être que volontaires... What else ?... Ah si ! On pourrait ravoir de la sauce ?
J’ai décidé d’écrire sur cette œuvre car à sa lecture j’y ai vu l’inspiration de deux mouvements artistiques. L’art brut et l’art naïf.
L'art brut a été défini par Jean Dubuffet pour désigner les productions de personnes exemptes de culture artistique.
L'Art Brut regroupe des productions réalisées par des non-professionnels de l'art, indemnes de culture artistique, œuvrant en dehors des normes esthétiques convenues (pensionnaires d'asiles psychiatriques, autodidactes isolés, médiums, etc.). Dubuffet entendait par là un art spontané, sans prétentions culturelles et sans démarche intellectuelle.
Il prolonge ainsi les découvertes et les travaux faits par le docteur Hans Prinzhorn dans les années 1920 sur l'art des « fous », mais aussi l'étude que le Docteur Morgenthaler a consacré en 1921 à un interné psychiatrique qui reste l'un des plus emblématiques représentants de l'art brut, Adolf Wölfli, sous le titre allemand Ein Geisteskranken als Künstler.

Le Irren-Anstalt Band-Hain de Wölfli, 1910
L’art naïf, quant à lui, désigne une approche spécifique de la peinture, dont l'une des principales caractéristiques est un style pictural figuratif ne respectant aucune règle esthétique ou géométrique sur les dimensions, l'intensité de la couleur ou la précision du dessin.
C’est ce que les profanes appellent “les dessins d’enfants”.

Ceci est un dessin d’enfant.

Ceci est de l’art brut.
Vue du pont de Sèvres, 1908, Henri Rousseau.
Ma théorie porte sur le mélange et l’assimilation de ces deux arts par Philippe VALETTE pour créer « George Clooney ».
Les albums de « George Clooney » mélangent deux ingrédients ou deux matières dans son œuvre.
L’art brut pour le fond et l’art naïf pour la forme. L’art brut pour la narration et l’art naïf pour le graphisme.
Dans un premier temps, mon analyse va se focaliser sur les éléments empreints à l’art brut. Puis, dans un second temps, je vais démontrer en quoi l’utilisation des caractéristiques plastiques de l’art naïf est en adéquation avec la narration.
Cette intuition a été confirmée par mes recherches et par une analyse de son œuvre.
Je vais débuter cette réflexion avec le tome I, que j’ai découvert par une lecture sur support immatériel, le blog. Ce support à son importance dans la lecture et la réception que j’en ai eu en tant que lecteur.
Attention, je ne parle pas d’une lecture sur tablette qui s’apparente à une lecture sur support papier. Dans le cas présent il s’agit d’une lecture sur écran avec un intermédiaire pour agir sur les pages (la souris). Cette précision a son importance.
L’art brut dans Georges « Clooney »
Au commencement, Philippe VALETTE a créé un blogspot. C’est un site basique avec une charte graphique minimale.
Vous pouvez accéder à ce site ici : http://georgesclooney.blogspot.fr/p/tome-1.html
Simple, rudimentaire et utile., il s’agit là d’un véritable creuset. Un contenant « brut » e rustique pour accueillir son œuvre.
Nous pouvons constater que « George Clooney » est le résultat du mariage entre contraintes stylistiques, art naïf et art brut.
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Un séquençage « brut » pour une lecture fluide et spontanée.
Une des contraintes qu'il a efficacement utilisée est l’humour brut, voir brutal.
Le rythme et la verticalité de la « lecture blog » sont employés par l’auteur pour imposer un humour basé sur la rapidité de l’inter-case. La rapidité des ellipses des inter-cases relève pratiquement d’un « Cut » cinématographique effréné.
Pour exemple, cet extrait où je me suis retrouvé à passer d’une case à l’autre en ne m’attardant pas plus d’une demi seconde par case :



















A noter l’absurdité de la séquence et l’humour qui en résulte. Notamment la séquence en trois temps avec le chat.
Grace à l’action de la roulette de la souris le doigt se retrouve à tourner frénétiquement. Provoquant une rapidité de lecture tout en gardant une lisibilité et une clarté remarquable.
Il est intéressant de constater que cette spontanéité de la mise en case, recherché par VALETTE, provoque une quasi-hypnose. Cet effet devait être vécu par les peintres naïfs pour rentrer dans une « transe créative » (bien qu’une peinture soit dépourvue de séquence et de mise en case).
VALETTE parle de cette volonté de spontanéité :
Les fautes d'orthographes, c'est ta marque de fabrique, mais, cette fois, tu vas plus loin en leur donnant une place et un rôle à part entière dans l'histoire. Tu l'as fait par autodérision ou c'est un message pour ceux qui le prennent mal ?
Il y a un peu de ça, oui, mais je voulais surtout que ce soit plus explicite, que les fautes fassent partie consciente du monde dans lequel vit Georges, qu'il fallait l'accepter. C'est un choix. C'est vrai qu'au tout début, je ne m'étais pas forcé à faire des fautes, je m'appliquais juste à être le plus spontané possible, dans le dessin comme dans le texte. Quand j'ai commencé, je voulais éliminer le maximum de contraintes, par frustration de ne pas pouvoir produire tous les projets que j'ai depuis des années et qui s'accumulent sur mon bureau. Je fantasmais depuis longtemps là-dessus et je me demandais souvent si, un jour, je pourrais retrouver cette spontanéité que l'on avait, gamin, entre potes, lorsqu'on dessinait des conneries pour se faire marrer. Avec Georges Clooney, au fond, je suis revenu à ce que j'aime vraiment dans la vie : raconter des histoires, quel que soit le média.
[…]
Parfois, je trouve que la bande dessinée est difficile à lire, à cause de certains excès de mise en page et de styles qui cassent le rythme. Je suis davantage à la recherche du rythme narratif le plus fluide possible, celui où tu n'as même pas conscience qu'il y a un découpage, un raccord, et que tu es juste dans l'histoire. 1
Il est remarquable de constater que cette rapidité de lecture s’opère aussi avec le format papier. En lisant le Tome II, je me suis retrouvé là encore à tourner frénétiquement les pages.
Ainsi, en pensant son séquençage pour une lecture web, la spontanéité du premier support s’opère malgré tout sur le second.
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La contrainte des fautes d'orthographe intégrées dans la narration et dans l'humour absurde de la BD
En utilisant les fautes d’orthographe comme outils humoristiques, VALETTE reprend la liberté formelle des artistes de l’art Brut.
Cette liberté vis-à-vis des règles et des conventions artistiques lui permet de véritablement créer une nouvelle narration et un nouveau langage humoristique.
Il utilise ce handicap orthographique pour la transformer en force. Cette approche rappelle celle des artistes des hôpitaux psychiatriques qui utilisaient leurs folie pour les sublimer dans une œuvre picturale.
Il y a beaucoup de fautes d’orthographes dans Georges Clooney. C’est volontaire ?
Pour être honnête, j’écris hyper vite, du coup je fais des fautes. Je pourrais corriger la plupart en me relisant, du moins je pense (rires). Mais j’ai décidé de les laisser. D’abord parce que ça fait marrer mes potes. Ils me reconnaissent bien là-dedans. Et moi je trouve que ça ajoute un truc débile et franc-parler aux personnages. C’est plus naturel et spontané. 2
Cette contrainte orthographique permettra d’influencer considérablement l’histoire du Tome II.
Ainsi, un robot obligera tous les personnages (ou presque) à parler correctement. Ce qui transmutera le monde de la BD dans la réalité grise et terne du réel.
Au passage, VALETTE démontre la puissance de la sémantique sur la perception du réel et des consciences.


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L'art brut dans la narration.
La narration, primaire et brutale au premier abord permet à l’histoire de se dérouler en faisant fi des conventions en la matière. Ici, pas de théorie narratives des Vogler, Truby ou McKee. L’histoire est un prétexte pour produire des situations burlesques et absurdes. Malgré tout, une cohérence et une trame existent.
Dès la premiere case le on es donnée et une enigme est posée (au sens propre comme au figuré...).
J’en veux pour preuve la première case du Tome I qui commence comme ceci :


Oui, nous auront le fin mot de l‘histoire sur l’origine de cet étron.
Au passage, cela renvoie à la trame scatologique principale du film « The Big Lebowski » dans laquelle le héros essaye simplement de se faire rembourser son tapis. Tapis sur lequel un homme de mains a pissé, à cause d’une erreur d’homonymie.
L’art naïf dans « Georges Clooney »
VALETTE utilise les codes esthétiques de l’art naïf. Ce parti pris rebute une partie des lecteurs. Tout comme le mouvement artistique (lequel ?) rebute encore une partie des spectateurs.
Cependant ce choix est justifié, compte tenu du séquençage « brut » de la BD, comme vu précédemment.
VALETTE a conscience de la référence artistique dont il s’inspire, sa démarche reste claire :
Tu as dessiné George Clooney au feutre de couleur. Est-ce par nostalgie de l’enfance ?
Je me suis lancé avec les feutres, sans réfléchir à un design – le piège dans le milieu, c’est qu’on voit ce que font les autres et on a envie de faire aussi classe qu’eux, du coup tu te paumes et tu ne fais rien. Donc j’ai pris les feutres, je me suis lancé comme un gamin. C’était moche, mais au moins c’était fait exprès. Avec un côté art brut, enfantin. 3
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Composition des cases et art naïf.
Nous pouvons constater que la composition des cases est simple (et non simpliste).
Les positions des personnages dans la case ont toujours le même but. Celui de la simplicité et de clarté. Les éléments du décor sont minimalistes et placé efficacement dans la case. Sans jeux sur la perspective ou sur les plans. D’ailleurs la grande majorité des cases sont composées d’un plan unique.

Ce genre de composition se retrouve dans bon nombres de peintures naïves. Il n’y a pas de virtuosité picturale. Le seul objectif est une compréhension claire et intuitive de la case. Cette nécessité s’explique par la rapidité de lecture des séquences, comme expliqué précédemment.
Pour autant, VALETTE se permet des compositions plus que complexes qui tranchent avec la monotonie que ce genre de parti-pris pourrait produire.

Ces fulgurances de composition permettent de jouer avec le rythme et de garder le lecteur attentif.
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L'art naïf dans la couleur
Les codes de l’art naïf se retrouvent dans le choix des couleurs et dans la manière dont ils sont posés.
VALETTE utilise les couleurs primaires et il « colorise » comme un enfant avec du feutre, laissant apparaitre des blancs. Il recherche donc une impression d’exécution rapide.
Cependant, la clarté des cases et la rigueur des volumes témoignent d’une maitrise qu’un enfant ne pourrait pas avoir.
En témoignent aussi les positions des personnages et leurs gestuelles. Leurs dispositions sont toujours « signifiantes » et participent à la compréhension rapide des cases.
Conclusion sur l’œuvre :
Note : 17/20
VALETTE propose une œuvre caractérisée par les compositions lourdes, violentes et anarchiques de l’art brut,
amalgamés avec la volatilité et la douceur de l’art naïf.
Yohann. 01/03/2015

Face à ce succès une exposition sur Georges Clooney appellé “L’EXPOZANCE” se déroulera du 25 mars au 12 avril à la Galerie L'Attrape Rêve.
Toutes les infos ici :
https://www.facebook.com/events/1003405303021145/
http://www.lattrapereve.fr/
